« Jeux de briques » / Olivier Vadrot
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L’invitation faite à Olivier Vadrot
Par Stéphanie Sagot, Directrice artistique et scientifique.
Habiter la ville est un sujet central pour La cuisine, centre d’art et de design, qui, comme sa thématique l’indique, cherche notamment à infiltrer ou à questionner les usages quotidiens. Ainsi, depuis sa création en 2004, nous invitons régulièrement des artistes et designers à réfléchir à des projets qui investissent le territoire. Certains se sont concrétisés et font désormais partie des œuvres pérennes du centre d’art. Les 5.5 designers ont conçu « Chérie, j’ai oublié la nappe ! », des espaces de pique-nique sur l’île de Nègrepelisse, les A+B designers ont réalisé l’espace de restauration du jardin d’éveil de Nègrepelisse, matali crasset a créé « le bois de sharewood », un rucher coopératif et pédagogique situé dans le bois de Montrosiès.
Dans la poursuite de ces travaux, nous avons invité l’architecte et designer Olivier Vadrot. Ancien pensionnaire de la Villa Médicis à Rome, il a pu y apprécier les nombreux édifices en briques. En Pays Midi-Quercy, la brique en terre crue ou cuite constitue un élément récurrent à dimension patrimoniale. Des techniques ancestrales de construction sont d’ailleurs redécouvertes aujourd’hui. Parmi les nombreux édifices en briques foraines qu’il a étudiés ici, le four banal communal, ou four à pain, a particulièrement retenu son attention. Cette architecture, autrefois centrale dans la vie de la collectivité, est aujourd’hui tombée en désuétude. À Nègrepelisse, le bâtiment se situait près du château.
Pourtant, certaines villes choisissent actuellement de réhabiliter le four à pain, ainsi qu’Olivier Vadrot a pu le remarquer en Bourgogne. Dans cette perspective, il nous présente, au sein de l’exposition « Jeux de briques », ses études, expérimentations et réflexions concernant la possible construction d’un four à pain à Nègrepelisse.
Présentation de l’exposition « Jeux de briques »
Par Olivier Vadrot
Durant ma résidence à Nègrepelisse, je me suis focalisé sur un matériau de construction, la brique de terre, et sur un type d’ouvrage, le four à pain.
Mon intérêt pour la brique est né durant mon séjour comme pensionnaire à l’Académie de France à Rome - Villa Médicis en 2012-2013. J’ai été fasciné par l’emploi de ce matériau simple et modulaire (une masse de terre moulée dans un cadre en bois, puis séchée au soleil ou cuite dans un four). L’assemblage de briques, s’il constitue le principe d’un jeu d’enfants parmi les plus répandus, est aussi une science millénaire comme en attestent de prestigieuses et incomparables réalisations architecturales : la muraille de Chine, la cathédrale d’Albi, le dôme de Florence, etc. Cette recherche a nécessité une exploration du territoire proche de Nègrepelisse, celui du bassin dans lequel est utilisée la terre comme matériau de construction. La brique a d’ailleurs ici une dimension particulière et est appelée brique foraine (ou brique de Toulouse). Son dimensionnement est très proche de celui de l’antique brique romaine et de l’adobe de terre crue. Pour ce projet, j’ai également rencontré de nombreux interlocuteurs, les propriétaires de fours encore existants, des professionnels aguerris à ces techniques particulières, des responsables du patrimoine, etc. Ces recherches sur la brique et le four sont restituées pour cette exposition sous la forme d’un mur d’images dans lequel il n’est pas difficile de constater la relative complexité de cet art de la brique derrière une apparence simplissime. Face à ces images, une tribune en bois permet au groupe de visiteurs de se rassembler pour échanger avec le médiateur.
Une des formes les plus savantes et les plus abouties de cet art d’assembler les briques est la coupole, une forme que l’on rencontre dans une construction assez commune mais néanmoins savante, celle du four à pain. D’échelle modeste, les fours à pain ont cependant une grande disparité d’aspect, car si la voûte de l’âtre répond à un dimensionnement précis, l’enveloppe du four prend des formes très différentes. Elle peut être accompagnée d’un auvent et d’une cheminée, elle est souvent surmontée d’une toiture ou parfois plus simplement recouverte d’un matériau étanche. La forme la plus archaïque et la plus simple du four est celle d’une “motte“ de terre posée à même le sol.
Cette enquête sur le four n’a pas été simple car, pour un architecte ou un designer, il s’avère finalement très difficile de rénover une forme aussi éprouvée et dont l’origine est aussi ancienne que celle du pain, c’est-à-dire aux sources de l’humanité. Une possibilité a pourtant été rencontrée avec la découverte, à Vaïssac, près de Nègrepelisse, d’un four dont la voûte est en terre crue et dont les briques ne sont pas parallélépipédiques mais évasées, comme pour éviter le fastidieux travail de calage qui accompagne habituellement la construction du four. Ce principe est repris ici pour de nouveaux modèles de construction de voûtes, qui s’appuient sur une géométrie précise inspirée du dôme géodésique, une invention de l’architecte américain Buckminster Füller à partir des solides de Platon. Le dimensionnement du four découle alors directement de la géométrie de la brique. Ces esquisses ont été réalisées avec la collaboration de l’artiste Jacinto Costoso.
La dernière étape des recherches qui est donnée à voir dans cette exposition concerne le projet de construction d’un four à pain partagé, destiné aux habitants de la commune de Nègrepelisse. Il y avait autrefois (un dessin de Fragonard en atteste) un four banal dans une des maisons de l’avenue du château. Le projet consiste à construire un nouveau four, placé sur l’esplanade proche, qui pourrait être utilisé par les boulangers, restaurateurs, et amateurs de la commune, à certaines occasions de l’année. Ce four rassemble une synthèse des recherches menées durant ma résidence. La voûte de l’âtre serait une réplique de celle, en terre crue, découverte à Vaïssac, ce qui permettrait de réactiver une technique aujourd’hui disparue et dont l’intérêt patrimonial est réel. L’enveloppe du four, distincte de la voûte, serait quant à elle constituée d’un appareillage de briques foraines et son dessin en arc de cercle répondrait à celui des tours du château. Par ailleurs, cette géométrie particulière permettrait une utilisation optimale du matériau en évitant les coupes de la brique aux angles, malgré la forme courbe. Elle confèrerait à l’édifice une grande solidité, grâce aux quatre contreforts qui l’entourent.
Interview d’Olivier Vadrot par Martine Calcinotto/Présentation projet four banal avec La cuisine by La_Cuisine on Mixcloud